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Par Christophe Rouvière | Les Echos.fr
Du bon financement de nos start-ups industrielles dépend en bonne partie l’opportunité de créer de nouvelles filières industrielles axées sur les technologies vertes.
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Lorsque nos responsables politiques prônent, quinquennat après quinquennat, la nécessaire réindustrialisation de la France ou le besoin d’investir dans la recherche publique, ils devraient regarder de plus près les montants en capital effectivement investis dans les start-ups capables de réellement créer de nouvelles industries.
Si les grands-groupes investissent massivement dans leur recherche et développement, celle-ci est rarement destinée à bousculer les produits ou modèles économiques existants. Les start-ups se révèlent bien plus déterminantes pour bousculer l’ordre établi et répondre à l’impératif de vitesse qu’exige la compétition internationale.
La France occupait en 2015 la 5e place des pays de l’OCDE pour les dépenses de recherche et développement publiques, soit 0,86 % de son PIB ce dont elle pouvait s’enorgueillir. Cependant, dans l’indice mondial de l’innovation* 2018, publié chaque année par l’OMPI, l’Université Cornell et l’INSEAD la France perd une place (16e) alors que le trio de tête (Suisse, Pays-Bas et Suède) reste inchangé. Cette édition 2018, intitulée « L’innovation, source d’énergie pour le monde entier », met également l’accent sur la nécessité de développer l’innovation dans le domaine des technologies vertes respectueuses de l’environnement, sur fond de besoins croissants en énergie.
Des financements insuffisants et mal adaptés
La France possède de grands laboratoires de recherche très réputés, des leaders mondiaux dans le domaine de l’énergie, de l’automobile, de l’environnement, de la chimie…, une agriculture de qualité. Elle dispose donc des talents nécessaires pour donner naissance à de nouvelles industries, capables de créer de nombreux emplois, et notamment dans les secteurs de la transition énergétique et écologique. Cependant, il y a un frein majeur à l’éclosion de ces nouvelles industries : l’argent qui y est consacré est ridiculement insuffisant.
Beaucoup disent qu’il n’y a jamais eu autant d’argent dans le marché et qu’il suffit d’être porteur d’un bon projet pour trouver à se financer. Cette idée reçue est totalement erronée. Il faut d’abord bien distinguer les fonds disponibles dans le coté (surabondance de capitaux disponibles) et le non-coté. D’après leur étude annuelle, réalisée par France Invest et le cabinet Grant Thornton, 14,3 Mds EUR ont été investi en 2017 dans 2142 entreprises françaises en non-coté. Et dans le segment du capital innovation, segment qui concerne les entreprises non encore rentables ou n’ayant même encore aucun chiffre d’affaires, 847 entreprises ont reçu 1,2 MdEUR soit 1,5 MEUR en moyenne.
Ce montant moyen peut-être suffisant pour démarrer pour les entreprises peu capitalistiques du secteur digital ou informatique, mais il est très insuffisant pour financer un démonstrateur industriel. De même que la période de détention d’un fonds de capital-innovation étant de 5 ans en moyenne, cette période est suffisante pour une entreprise du digital, mais pas pour une entreprise industrielle. Il peut facilement s’écouler 6 à 8 ans pour qu’un projet industriel passe de la conception à la vente de produits (démonstrateur, prototypage, préséries, qualifications auprès des clients…) et plus de 20 ans pour une nouvelle chimie de batterie.
Au final, les financements en capital, bien adaptés aux innovations à cycle court, ne le sont pas dès qu’il s’agit d’industries nécessitant la construction d’usines. Pas étonnant donc que nos start-ups industrielles se fassent souvent racheter ou financer par des investisseurs étrangers, qu’une levée de fonds puisse prendre près de 2 années ou que nombre d’entre elles meurent par manque de trésorerie !
Dans les secteurs de la transition énergétique et écologique, les sommes disponibles en capital innovation pour investir dans nos futures pépites nationales sont très insuffisantes.
D’après les chiffres du Cleantech Group, 168 millions d’euros ont été investis en 2018 en amorçage et séries A dans les start-ups françaises de la cleantech ayant une composante hardware ou industrielle, dont 55 millions d’euros dans la seule InnovaFeed… à comparer aux 1700 Mds EUR placés en assurance-vie ! 1700 Mds EUR investis dans de la dette ou des métiers d’hier contre 168 millions d’euros dans les métiers de demain, soit 0,01 % ! Est-ce ainsi que la France répond à l’avenir ?
Ce montant, s’il n’est pas exponentiellement augmenté, ne permettra pas de donner les moyens à nos entrepreneurs industriels de créer de nouvelles filières capables de relever les défis économiques, sociaux et environnementaux auxquels nous devons activement nous préparer.
Monsieur le Président, « Plus fort, plus vite, plus loin », comme vous le disiez le 7 mars dernier à un collégien à propos de l’écologie, ne sera possible que si vous vous attaquez urgemment à cette question du financement de nos start-ups industrielles. Il en va de l’avenir industriel de la France et de l’Europe.